Les casseroles de l’ère Bungie que la communauté se force à oublier

Il y a quelque chose de pourri au royaume de Halo. Et contrairement à ce qu’une majorité des personnes qui commentent sur les réseaux sociaux et sur les articles d’actualité semblent le croire, ça ne date pas d’hier.

Le fait est qu’en tant que rédacteur d’actualité sur Halo.fr et contributeur régulier sur le WikiHalo, je suis souvent en contact avec les réactions communautaires, et les mêmes arguments ont tendance à revenir. L’un d’eux est que Halo se porterait bien mieux si Bungie avait continué de développer la licence, que 343 Industries ne savent pas ce qu’ils font et que l’époque faste de Halo s’est arrêtée subitement en 2011.

Le mythe du Bungie conquérant et irréprochable face à un 343 Industries hagard et indécis a la peau dure, ce qui est plutôt logique vu que trouver un unique bouc émissaire est bien plus simple que de se pencher sur presque vingt ans de design pluridisciplinaire et de stratégie transmédia. Étant un acharné de tout ce qui touche à l’histoire de la licence, cette naïveté générale m’énerve et je me suis laissé aller à quelques commentaires secs parsemés d’exemples des squelettes qu’on trouve dans les placards de Bungie. Mais il serait plus propre de les lister dans un article. Ce que je m’apprête à faire.

Les lecteurs attentifs auront remarqué qu’à aucun moment je ne défend l’idée que 343 Industries seraient de totales victimes de leur situation. Les erreurs accumulées depuis 2011 sont bien là (on ne peut d’ailleurs pas faire trois pas dans les couloirs métaphoriques de la communauté sans qu’on nous les jette à la gueule). Cet article est là pour suriner l’idée que Bungie seraient irréprochables.

  • Développements chaotiques : Combat Evolved, « le crunch qui faillit tuer Bungie » de Halo 2, la stratégie « construire l’avion en plein vol » de Halo 3, … Je vous laisse lire les articles du WikiHalo pour découvrir les problèmes récurrents de Bungie avec leurs stratégies de développement, et cet article sur Destiny qui ne vas pas dans le sens d’une disparition des problèmes. Ne cherchez pas plus loin si vous vous demandiez pourquoi Bungie avait réutilisé des niveaux de campagne entiers dans Halo CE, pourquoi le Magnum de ce jeu est beaucoup trop puissant, ou pourquoi la campagne de Halo 2 est aussi déséquilibrée en mode légendaire. Également discutable est la stratégie de recrutement massif sur Halo : Reach pour former les recrues sur le jeu avant de les mettre face au choix d’abandonner soit Halo pour travailler sur Destiny, soit d’abandonner Bungie pour travailler sur Halo avec 343 Industries. Sale.
  • Muselage du transmédia : Celui-ci est encore très présent chez certains membres investis dans les origines de la saga, en particulier Marcus Lehto auquel j’ai eu l’occasion de poser des questions sur le canon de la saga lors d’un livestream caritatif en septembre 2018. Sa réponse est sans appel : tout ce qui n’a pas été créé par Bungie ne fait pas partie du canon. On peut facilement deviner que Lehto a fait partie des décisionnaires de Bungie qui ont fait pression sur le Microsoft Franchise Group (MSFG) pour tenter de faire annuler Halo : La Chute de Reach. D’abord pensé comme une mise à profit du partenariat Microsoft/Del Rey, le livre est devenu un projet passionnel pour l’éditeur Eric Trautmann, qui est à l’origine de concepts aussi centraux pour l’univers Halo que le nom John-117 et la Halo Story Bible. Trautmann a donc été en première ligne contre la volonté de Bungie de rejeter tout apport créatif venant du MSFG, et a également obtenu de ne pas faire annuler le roman, alors déjà écrit pratiquement aux deux tiers. Dans le même livestream de 2018, Lehto a bien fait part de cette rancune contre MSFG en indiquant que les incohérences entre Halo : Reach et le roman étaient directement dues à cette vision des romans comme hors-canon chez certains décisionnaires du studio, en totale contradiction avec leurs déclarations publiques. Cette possessivité autour de Halo est un thème récurrent.
  • Partenaires difficiles : La volonté de Bungie de rejeter la culture interne de Microsoft est généralement compréhensible, en particulier les comportements prédateurs visant à s’accaparer les développeurs des autres projets (la forte culture de l’open space chez Bungie est plus débattable). Moins compréhensibles sont les attaques rapportées par Ensemble Studio, développeurs de Halo Wars : Bungie aurait ainsi qualifié le jeu de « prostitution de leur licence ». Le jeu a certes vu la licence Halo être greffée sur son prototype pour augmenter ses chances de succès en tant que RTS pour consoles, mais difficile de nier le respect d’Ensemble pour la licence alors que leur jeu a été un pas en avant significatif dans le développement de l’univers (c’est Halo Wars qui apporta une justification au fait que les Covenants peuvent parler anglais avant que Bungie ne fasse brutalement machine arrière dans Halo : Reach, abandonnant au passage le rôle des Grognards comme éléments comiques), et que le scénariste principal Graeme Devine est allé jusqu’à créer des histoires annexes pour le scénario du jeu en les considérant volontairement comme des fanfictions.
  • Sexisme : Un défaut très dans l’air du temps qui a heureusement majoritairement épargné la saga Halo grâce à ma personne préférée chez Bungie : Lorraine McLees. McLees a rejoint Bungie en 1998 et a principalement travaillé comme directrice artistique et product manager, assurant la cohérence de l’identité visuelle de Halo auprès du public et signant des illustrations aussi légendaires que la couverture originale de Halo : La Chute de Reach. Elle est également à l’origine du design du Pillar of Autumn. En d’autres termes, l’identité visuelle old school que 343 Industries cherche à reproduire dans Halo Infinite est autant le fait de Lorraine McLees que du reste du quatuor de designers visuels originaux (Marcus Lehto avec les véhicules et l’armure du Major, Shi Kai Wang avec les Covenants et Robert McLees, son mari, avec les armes de l’UNSC).
    Mais le rôle informel de McLees était aussi de tenir en laisse les instincts primaires du reste du studio (dont elle a longtemps été le seul membre féminin), et en particulier sur le jeu Oni où elle a fait blocus contre les tentatives, souvent répétées, de dénuder le personnage principal à la moindre occasion.
  • Vision Hard Science-Fiction, mais pas trop : En 2004, Joseph Staten déclarait à Halo.bungie.org que Halo s’inscrivait dans le genre de la Hard Science-Fiction. Outre la catégorisation débattable, j’aurais été appréhensif après Halo : Reach à l’idée de voir Bungie continuer sur leur lancée dans les décisions narratives pour Halo, en particulier vu le bazar sans nom qu’est Marathon Infinity et la citation particulièrement croustillante dans le magazine Edge d’août 2013, où au détour des commentaires sur les restrictions imposées par le canon de Halo à leurs idées narratives, on pouvait lire les développeurs annoncer que Destiny ferait usage de portails spatiotemporels vers des dimensions alternatives et ainsi échapper à leur canon si ils venaient à s’auto-scénariser dans une impasse. Suffisant pour se demander où aurait été Halo si Bungie avait réussi à terminer l’histoire prévue pour Halo : Combat Evolved en un seul jeu au lieu de n’atteindre la conclusion d’origine qu’avec Halo 3, la faute aux problèmes de développement cités plus haut. Et à titre personnel, je trouve bien plus narrativement intéressante l’idée que les survivants des Forerunners aient admis leurs fautes et transmis leur héritage à leurs anciens ennemis plutôt que de faire de l’humanité des Forerunners ayant subi une évolution inversée.
  • Marketing faussé : De par leur nature, les trailers sont des mensonges puisque vous ne voyez jamais le produit final. Quelques marketeux ne cherchent qu’à forcer votre cerveau à générer des attentes dont ils ont le contrôle. Remettez-vous donc en tête l’article du WikiHalo sur le développement de Halo 2 et l’impressionnante démonstration en portes closes du moteur pstencil. Qui fut complètement abandonné peu après la démonstration pour revenir avec un moteur plus classique, avec de moindres promesses sur le réalisme de l’éclairage, entre autres fonctions graphiques. Pstencil, Slipspace, même combat. Ça remet toute de suite en perspective la campagne « mensongère » de Halo 5, qui réussit pourtant avec brio à cacher le véritable thème principal du jeu.
  • Le « c’était mieux avant » existait déjà avant : J’invite les curieux à aller faire un tour sur les forums de Halo.bungie.org à la sortie de Halo 2 pour constater l’étendue des dégâts. Le statut légendaire du jeu n’a été acquis qu’à grand renfort de rééquilibrages massifs post-sortie, d’une lutte acharnée contre les tricheurs qui pullulaient sur le Xbox Live 1.0 et d’une appréciation rétroactive par des fans déjà nostalgiques du gameplay du jeu précédent à la sortie de Halo 3. Et si vous n’êtes pas trop jeune sur la série, les mots « sprint », « carapace » et « bloom » devraient vous rafraîchir la mémoire sur un autre type de controverse de l’époque Bungie (coucou Reach).

Pour terminer, soulignons que Bungie avait la belle vie comparé aux efforts que doit produire 343 Industries : les équipes de Bungie n’ont jamais eu à gérer elles-mêmes les projets transmédia puisque c’est le Microsoft Franchise Group, puis 343 Industries à partir de 2008/2009, qui assurait ces responsabilités ; Bungie n’a jamais eu à monter un studio de toutes pièces tout en développant la suite très attendue d’une licence légendaire sous la pression d’une horde de fans déjà suspicieux de voir leur bien-aimé studio Bungie voguer au large ; Bungie n’a jamais eu à faire face à des réseaux sociaux hyperréactifs et déchaînés, qui se sont réellement excités après qu’ils aient mis les voiles ; Bungie n’ont jamais perçu Halo comme une plateforme d’expérimentation transmédia de premier choix, avec tous les essais manqués que ce genre de volonté créative (et commerciale aussi quand même) implique.

Restez critiques, mais soyez-le jusqu’au bout.